Lettre autographe signée de Charles NUITTER (Charles-Louis-Etienne TRUINET), Paris, 7 août 1867
Avocat, Dramaturge,Traducteur, Archiviste français de l’Opéra de Paris (1828-1899)
Charles Nuitter indique que le ténor et directeur de l’Opéra Comique, Léon Carvalho, désire entendre la partition de Tutti in maschera, « qu’il souhaite monter tout de suite ». Avocat à la Cour d'appel de Paris passionné de théâtre il fut également auteur dramatique, librettiste, traducteur et auteur d'arguments de ballets. Vers les années 1860, il décide de se consacrer aux archives de l'Opéra : la Bibliothèque et les Archives sont officiellement fondées le 16 mai 1866. Egalement, il effectue plusieurs traductions d’œuvres lyriques vers le français (notamment La Flûte enchantée, Lohengrin, Le Vaisseau fantôme, Tannhäuser et Aida (entre autre pour les premières au Théâtre Royal de la Monnaie), ainsi que Tutti in maschera, une comédie lyrique en trois actes de Carlo Pedrotti, créée à Vérone le 4 novembre 1856, qui voit le jour à Paris sous le titre Les Masques en 1869 dans une traduction qu’il co-signe avec Alexandre Beaumont
Fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles®
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Avant-propos de Claude-Pascal PERNA
Contexte historique
Depuis la genèse de l’opéra au XVIIème siècle, il faut patienter jusqu’à l’avènement des premiers enregistrements de la voix humaine pour découvrir – de manière précaire et défaillante – les prouesses vocales d’artistes qui s’attachent à léguer à la postérité un échantillon de leur talent. Bénis soient les gramophones, phonographes et autres cylindres qui, bon gré mal gré, nous restituent un maigre, mais précieux témoignage artistique d’interprètes emblématiques.
N’est-il pas émouvant d’écouter le soprano Adelina Patti dans des enregistrements tardifs effectués dans son château de contes de fées de Craig-y-Nos (Pays de Galles) ou encore, la divine Sarah Bernhardt réciter Phèdre ou Constant Coquelin (l’Aîné) vibrant d’autorité dans la scène du duel de Cyrano de Bergerac ?).
Bien plus tard, la radio et la télévision servent de catalyseurs, favorisant l’éclosion et la démocratisation d’innombrables talents. Le disque, quant à lui, permet de léguer à la postérité un échantillon de leur talent : du vénérable cylindre au 78 tours, puis au microsillon 33/45 tours, jusqu’à l’éclosion du CD, puis du DVD, l’évolution technologique marque une fabuleuse avancée. N’a-t-elle pas permis la démocratisation des arts du spectacle et leur diffusion sur le plan mondial ?
Etat des lieux
Les progrès technologiques ont certainement démocratisé l’art lyrique et les arts du spectacle, soutenant leur diffusion vers un plus grand nombre.
Mais qu’en est-il d’artistes n’ayant pas pu léguer un témoignage audiovisuel, faute d’être nés à la bonne époque et donc, d’avoir pu bénéficier de la technologie appropriée? Nombre de ces artistes – au rang desquels figurent des solistes de tout premier plan – sombrent alors dans l’oubli.
De rares enregistrements, souvent réalisés à compte d’auteur et diffusés sous label privé ou confidentiel, circulent au sein du « marché des collectionneurs ». La plupart du temps, leur piètre qualité acoustique ôte parfois toute perspective objective d’appréciation de la part du mélomane.
L’avènement des deux conflits mondiaux apporte son lot de privations et de drames humains. Une partie des artistes poursuit pourtant ses activités dans des conditions précaires : cachets réduits, voire supprimés, troupe démantelée, théâtres et salles non chauffées, transports routiers et ferroviaires fragilisés et dangereux, arrestations sommaires, salles réquisitionnées par l’occupant, etc.
Les deux conflits mondiaux et leur incidence sur la vie musicale à Bruxelles Pendant la première guerre mondiale, le Théâtre Royal de la Monnaie ferme ses portes dès la saison 1914-1915 (à l’instar d’autres théâtres du pays) pour les rouvrir le 21 décembre 1918, avec quelques éléments de la troupe seulement.
Durant cette longue période, les artistes se produisent au Théâtre du Palais de Glace, au Théâtre de la Bourse (anciennement le Pathé Palace et à compter de 1916, le Théâtre Angèle van Loo), au Pathé Bourse, au Théâtre des Galeries ou encore, au Théâtre de l’Alhambra (anciennement Théâtre du Cirque), ce dernier étant surtout utilisé pour l’opérette et les revues musicales.
La réouverture tant attendue de la Monnaie est précédée d’un concert par l’Orchestre de la Reine dirigé par Corneil de Thoran (26 novembre 1918.) A compter de janvier 1919, la saison reprend son cours, avec son lot de créations musicales (opéra et opéra comique) qui voient des œuvres de compositeurs belges (François Rasse avec 1914 ou Léon Dubois avec Vers la gloire, représentées pour la première fois sur la scène de la Monnaie. La première création française substantielle depuis la reprise sera Mârouf, savetier du Caire, comédie lyrique du Français Henri Rabaud. Il faut patienter jusqu’à la saison lyrique suivante pour voir les créations absolues ou in loco défiler, particulièrement sous le discernement visionnaire de Corneil de Thoran.
Lors du conflit 1939-1945, la Monnaie ne ferme ses portes que temporairement (entre le 9 mai et le 1er octobre 1940.) Pendant ce laps de temps, ses artistes se produisent notamment au Pathé Palace et dans d’autres théâtres de providence sis dans la capitale. La réouverture de la Monnaie se fait par une soirée de gala lors de laquelle on joue Fidelio, avec d’éminents solistes du théâtre : Claudine Boons, Germaine Dupont, José Lens, Lucien Van Obbergh, Louis Richard, Marcel Claudel, Frans Toutenel, Roger Lefèvre et Jean Villard, sous la direction de Corneil de Thoran.
Pendant les hostilités, la Monnaie est réquisitionnée à maintes reprises par les Allemands et jusqu’en mai 1945, le théâtre est le témoin de belles réussites musicales, une maigre consolation en temps de guerre, grâce à des spectacles importés d’Allemagne avec des solistes rattachés aux troupes des principaux théâtres du pays (Berlin, Cologne, Düsseldorf, etc.) L’occupant allemand se montre particulièrement mélomane et respectueux des artistes, puisqu’il ordonne des représentations de Der Zarewitsch, Die Walküre, Figaros Hochzeit, Die Fledermaus, La Traviata, Tzar und Zimmermann, Die lustige Witwe ou encore et une rareté : El alcalde de Zalamea (opéra dramatique de Calderón de la Barca (~ 1636).
Vu le ralentissement provisoire des activités musicales, Corneil de Thoran et Jean Van Glabbeke, directeurs, conviennent d’organiser une saison d’été, décidée en accord avec les représentants du personnel.
La saison (inaugurée le 29 juin 1939 avec Les Cloches de Corneville, puis avec La Fille du tambour-major) porte principalement sur des représentations d’opérette à la Monnaie ou parfois, au Théâtre des Galeries. Elle se poursuit avec Boccace, Le Pays du sourire, La Fille de Madame Angot, Véronique, Les P’tites Michu, Le Comte de Luxembourg, Le Jour et la nuit, Gilette de Narbonne, La Chauve-souris, Giroflé-Girofla, Ciboulette, La Mascotte, La Poupée, La Veuve joyeuse, Les Mousquetaires au couvent, Amour tzigane, Le Paradis de Mahomet, La Petite mariée, Paganini, Mamzelle Nitouche, S.A.R., Valses de Vienne, La Mascotte, La Petite mariée, Le Soldat de chocolat, Victoria et son hussard, Rêve de valse, La Dernière valse, Valses de Vienne, Les Trois valses, Comtesse Maritza et La Teresina, avec une partie des membres de la troupe.
La fin de la troupe et le début de l’oubli…
La troupe de la Monnaie, à l’instar de celles d’autres théâtres de Belgique, se reconstitue progressivement à partir de la saison 1946-1946, complétée par les artistes en représentation (solistes invités payés au cachet).
Sous la direction de Joseph Rogatchewsky (1953-1959), une grande partie de la troupe sera maintenue, tant bien que mal, mais dès l’automne 1959, elle est sommairement dissoute manu militari par Maurice Huisman, à peine nommé à la tête de la Monnaie : la fin d’une époque et surtout, d’un style …
La Monnaie joue un rôle prépondérant dans la création musicale en Europe et les solistes de sa troupe, premiers ou deuxièmes plans, sans oublier les danseurs et membres du corps de ballet, font partie intégrante de ses succès ou de ses défaites.
De la nécessité de constituer une source iconographique et documentaire
Une grande partie de ces chanteurs est tombée dans l’oubli aujourd’hui : avant l’avènement de la télévision et des moyens multimedia actuels, seuls les enregistrements (disque ou captation radiophonique) permettent de laisser une trace sonore de l’art de ces interprètes. Aussi, l’appartenance à une troupe empêchant ou limitant sérieusement les engagements à l’étranger, un vaste nombre d’artistes ne peuvent pas se faire connaître hors des frontières de la Belgique, se voyant dès lors privés d’une notoriété internationale, souvent amplement méritée.
Force est de constater que souvent, seuls les fonds d’archives iconographiques et documentaires permettent de restituer et de perpétuer l’identité artistique d’interprètes tombés dans l’oubli.
Progressivement, les archives des radios nationales, s’ouvrent et il est permis d’espérer des parutions d’enregistrements dits historiques. Cela étant dit, la somme de travail de rassemblement des sources, de reconstitution technique puis d’exploitation des droits d’auteur et d’interprétation est colossale. De nombreuses firmes discographiques spécialisées s’attachent à éditer des enregistrements rares, parfois avec des artistes peu représentés sur le marché du disque.
Tristement, les artistes n’ayant pas franchi le seuil du studio d’enregistrement n’auront guère cette chance : les sources iconographiques et documentaires servent alors de mémoire vive, permettant ainsi de faire connaître, par le biais d’Internet et de publications, une partie du patrimoine musical de ce surprenant pays qu’est la Belgique.
Soutenir les efforts de ARSBXL en devenant membre, en s’intéressant à ses activités et en partageant ses objectifs, c’est contribuer à la sauvegarde de la mémoire artistique et du patrimoine matériel et immatériel des arts du spectacle. En ces temps de crise financière globalisée et de perte de valeurs, mais aussi de doute identitaire, cette démarche est non seulement méritoire, mais elle est certainement riche de sens.
Claude-Pascal Perna®